Trois ans après la capitulation sans condition de l’Allemagne le 8 mai 1945 et le début de son occupation par les quatre puissances victorieuses, Berlin est traversée par une crise qui, à la considérer aujourd’hui, constitue le premier grand conflit de la Guerre froide. Le blocus soviétique de Berlin-Ouest plonge les puissances occidentales dans des problèmes quasi-insolubles. Les causes du blocus sont multiples, le déclencheur direct en est toutefois la réforme monétaire.
Une ville – deux monnaies
Depuis la fin de la guerre, la situation monétaire de l’Allemagne pose un problème aux puissances victorieuses. Un énorme pouvoir d’achat excédentaire, le manque d’acceptation de la monnaie et le marché noir florissant imposent une réforme de toute urgence. Mais depuis le retrait du représentant soviétique du Conseil de contrôle allié en mars 1948, il est définitivement impossible d’envisager une action commune des quatre Alliés.
Le 18 juin, les puissances occidentales annoncent une réforme monétaire qui entre en vigueur deux jours plus tard. La réaction immédiate de l’administration militaire soviétique est d’interrompre le trafic de personnes venant ou se rendant à Berlin à compter du lendemain, le 19 juin. Cette mesure vise à protéger sa zone d’un afflux prévisible d’un reichsmark qui ne vaut désormais plus rien. Le 23 juin, une réforme monétaire est autorisée dans la zone d’occupation soviétique. À Berlin, les puissances occidentales ne reconnaissent pas cette « monnaie orientale ». Elles introduisent à la place une réforme monétaire dans les zones occidentales, de sorte qu’à partir du 25 juin, le Deutsche Mark de la Bank deutscher Länder (DM-Ouest) circule également à Berlin-Ouest. Berlin est ainsi non seulement divisée en quatre secteurs d’occupation mais aussi en deux zones monétaires.
Ravitaillement par les airs
Outre la coupure mentionnée du trafic routier le 19 juin, le camp soviétique ferme successivement entre le 19 et le 29 juin 1948 toutes les voies terrestres, ferroviaires et fluviales reliant Berlin-Ouest aux trois zones occidentales. Seuls sont épargnés les couloirs aériens, sur lesquels les quatre puissances victorieuses s’étaient entendus dans l’Air Agreement de 1945/1946.
Raison pour laquelle les trois alliés occidentaux mettent en œuvre un pont aérien vers Berlin, qui doit approvisionner la ville et ses deux millions d’habitants. Un plan ambitieux, sans équivalent dans cette envergure, et dont il est impossible de prévoir s’il peut fonctionner.
Le 28 juin 1948, les premiers avions américains et britanniques atterrissent sur les aéroports de Tempelhof et de Gatow, chargés de biens de consommation pour la population berlinoise. De nombreux autres vols suivent, mais personne n’est en mesure de prédire combien de temps le blocus va durer. C’est pourquoi les puissances occidentales commencent par planifier le ravitaillement de la ville jusqu’à l’hiver. L’objectif des premières semaines du pont aérien est d’assurer un volume quotidien de 4.500 tonnes de marchandises. À l’automne 1948, les Alliés le rehaussent à 5.000 tonnes quotidiennes. Le charbon, qui doit garantir l’approvisionnement en énergie, représente une grosse partie de ce tonnage.
En octobre, le général américain William H. Tunner prend la tête du commandement de la Combined Airlift Taskforce (CALTF), qui siège à Wiesbaden. Il perfectionne le pont aérien. Le gouverneur militaire américain en Allemagne, le général Lucius D. Clay, se charge d’obtenir le soutien politique nécessaire auprès du président des États-Unis d’Amérique, Harry S. Truman. Clay ne cesse d’exiger des avions toujours plus gros pour le pont aérien, Truman donne son autorisation.
Durant les premiers mois du pont aérien, la force d’occupation française participe avec six avions. Le troisième aéroport, qui fait cruellement défaut, est achevé à Tegel dans le secteur français en novembre 1948. 19.000 ouvriers l’ont bâti en un temps record de trois mois seulement. Les Britanniques mobilisent leur armée de l’air, la Royal Air Force, et engagent en outre 25 compagnies de charters qui acheminent principalement du fuel et de l’essence dans la ville. Outre le transport de 23 pourcent du tonnage total du pont aérien, les Britanniques prennent également en charge la majeure partie du trafic de personnes pendant le blocus. Avec leurs cargos C-54, les Américains possèdent la plus grande flotte aérienne de l’« Operation Vittles » (Opération victuailles), ainsi que les Américains appelaient cette intervention. Début 1949, le ravitaillement de Berlin fonctionne tellement bien que certains jours il arrive dans la ville plus de marchandises par la seule voie aérienne que par les transports terrestres, fluviaux et ferroviaires avant le blocus.
Les puissances occidentales utilisent largement cette efficacité exceptionnelle à des fins médiatiques. Les perpétuels reportages positifs sur les performances des tonnages alliés et l’estime croissante que suscitent les Alliés font certainement partie des motifs qui conduisent les Soviétiques à suspendre le blocus le 12 mai 1949. Malgré la fin du blocus, le pont aérien perdure encore quatre mois et s’achève à l’automne 1949. Ainsi les chronologies du « blocus de Berlin » et du « pont aérien » ne sont-elles pas identiques.
Avec la levée du blocus et la fin du pont aérien, la première crise de la Guerre froide est réglée par des moyens logistiques – sans recours à la violence militaire. Cela ne signifie pas au demeurant que le pont aérien n’a pas fait de victimes. 78 personnes au moins ont péri lors d’accidents aériens. Leurs noms sont gravés sur le socle du monument commémoratif du pont aérien à Berlin-Tempelhof.
Des occupants aux protecteurs
Le pont aérien de Berlin transforme sensiblement les relations entre les puissances occidentales et les Berlinois de l’Ouest. Quelques années à peine après la fin de la seconde guerre mondiale, les anciens ennemis ont réussi à surmonter ensemble une grave crise politique en coopérant étroitement. Les puissances d’occupation sont désormais perçues comme des puissances protectrices par les Berlinois.
Statistiques du pont aérien
Tonnage en short tons américains (1 short ton = 907 kilogrammes)
US
GB
Charbon
1.421.730 T.
164.800 T.
296.303 T.
241.713 T.
Produits alimentaires
Divers
65.540 T.
135.723 T.
24.216
34.815
Passagers se rendant à Berlin
Passagers en partance de Berlin
36.584
130.091
379.688
175.682
Vols allers-retours
Premiers vols du pont aérien
Derniers vols du pont aérien
Plus gros tonnage en 24 heures
Plus grand nombre de vols en 24 heures
Nombre de victimes durant le pont aérieN